Les coulisses de la place en crèche: le 18ème arrondissement de Paris

Photo: Cicilem
Pour plus de transparence, certains élus ont imaginé un système de cotation pour l’attribution des places en crèche. Illustration dans le nord de Paris.
Violaine Trajan est l’élue en charge de la petite enfance à la mairie du 18ème arrondissement de Paris. C’est elle qui décide du système d’attribution des places en crèche. Jusqu’alors elle recevait beaucoup de photos de bébés. Certains tenant une ardoise avec écrit dessus « Je veux une place ». Ou quelques petites attentions, comme cette enveloppe contenant des dizaines d’oiseaux en origami « pour créer un mobile » dans son bureau. Désormais, ces courriers créatifs se font plus rares.
Depuis un an, elle a mis en place un système de scoring (mais dans la fonction publique on parle français, alors elle dit « cotation »), sur le modèle de ce qui se fait depuis quelques années à Toulouse. Une volonté de transparence face aux parents qui ne comprenaient rien aux critères d’attribution des places en crèche (différents d’une mairie à l’autre et souvent opaques. Voir ici et là).
Désormais dans le 18ème, le choix des gagnants se fait avec un outil révolutionnaire:
L’idée est simple : les parents gagnent des points en fonction de leur situation professionnelle, financière, sociale, familiale. Celui qui a le meilleur score emporte la place.
Les points sont répartis en trois séries de critères, numérotés de 1 à 5 (19 points au total).
La première série est liée à l’activité professionnelle.
Un couple dont les deux membres travaillent gagne 4 points.
Un couple dont un seul est en activité gagne 2 points.
Si aucun des deux membres du couple travaille: 1 point
Une famille monoparentale qui travaille: 5 points.
Une famille monoparentale sans activité: 2 points
Selon Violaine Trajan, l’arrondissement compte 30% des familles monoparentales.
La deuxième série de points est liée aux revenus.
Moins de 1000 euros : 2 points
Entre 1001 et 2500 euros : 3 points
De 2501 à 4000 euros : 2,5 points
De 4001 à 5500 euros : 2 points
De 5501 à 7000 euros: 1,5 points
Plus de 7501 euros: 1 point.
La troisième série s’intéresse à la situation familiale
Situation d’urgence: décès, divorce, protection de l’enfant: 3 points
Parent mineur: 2 points
Logement insalubre, petit ou hôtel: 1,5 points
Handicap, maladie chronique: 2,5 points
Naissance multiples, adoption: 2 points
Fratrie à accueillir simultanément (frère ou soeur déjà à la crèche): 1 point
Continuité du mode de garde, rupture du mode de garde (si les parents avaient une place en crèche avant de déménager dans l’arrondissement ou s’ils se sont fait planter par leur garde précédente): 2 points
Professionnel de la petite enfance: 1 point
« Les familles peuvent s’inscrire sur Internet, puis elles prennent rendez-vous au relais information famille (RIF) de l’arrondissement, explique Violaine Trajan. Elles sont reçues par un conseiller qui examine les critères d’attribution des points ».
Une liste d’attente est établie, sous forme de feuille Excel, avec un classement par score.
Les commissions d’attribution ont lieu en moyenne tous les deux mois. La plus importante est celle de mai (800 places seront attribuées lors de la prochaine).
Que se passe t-il en cas d’égalité ? Si quinze familles ont toutes six points au finish ?
« Nous discutons avec les directrices et directeurs de crèche. L’une me dira « j’ai beaucoup de familles monoparentales, je veux bien un couple qui travaille ». Ou bien une fille. Ou un bébé d’avril. L’ancienneté de la demande et les dates de naissance des enfants permettent de départager les candidats, car les places disponibles se répartissent entre petites, moyennes et grandes sections. Les critères sont devenus plus sociologiques que personnels. On regarde moins les noms que les professions des parents ou l’âge des enfants. Le pouvoir de décision des responsables de crèches a diminué. »
Les numéros des admis sont affichés au relais information famille, en mairie et sur Internet, quinze jours après chaque commission. Les parents titulaires d’un numéro gagnant reçoivent ensuite un courrier officiel du maire.
La grille de cotation a nécessité quelques ajustements. « Nous avons baissé les points de la tranche de revenus de 0 à 1000 euros pour ne pas donner une trop grande priorité aux parents qui ne travaillent pas. Leurs enfants peuvent être accueillis en halte garderie. Les points sont passés de trois à deux ».
Actuellement, 87% des parents des enfants inscrits dans les crèches du 18ème exerceraient une activité professionnelle ( 72% avec 2 parents en activité et 15% de famille monoparentale en activité).
Violaine Trajan se sent « moins suspectée d’attribuer des passe-droits » et croit percevoir moins de frustration chez les familles recalées. Autre bénéfice du dispositif « Il est inutile de m’écrire des dizaines de lettres». Ce qui explique pourquoi les photos de bébés se font plus rares au dessus de son bureau. Comme son homologue du 12ème arrondissement de paris, elle ne reçoit plus les parents.
Le système de scoring est parfois critiqué, on lui reproche d’être trop « mécanique ». Certains élus redoutent qu’il les prive de leur liberté d’apprécier l’équité de leurs choix. « Je le trouve au contraire plus juste, affirme Violaine Trajan. Il traduit en mathématique une situation individuelle. Sans cotation, il est plus probable d’oublier une particularité, une urgence ou de favoriser untel car il était recommandé. »
Selon un bilan qu’elle a établit lors de la commission de juin 2014, la cotation aurait permis une répartition socialement représentative des demandeurs de place en crèche.
La tranche de revenus de 0 à 1000 € représentait 15% des candidats et 11% des admis.
De 1000 à 25000 € : 24% des candidats et 27% admis
De 2000 à 4000 € : 22% des candidats et 25% des admis
De 4000 à 5000 €: 16% des candidats et 18% des admis
De 5500 à 7000 €: 14% des candidats et 12% des admis
Plus de 7000 €: 10% des candidats et 6% des admis
On aimerait que ce genre de statistiques se généralisent et puissent être consultées en ligne, comme c’était le cas à Toulouse sous la précédente mandature.
Dans le 18ème, une demande sur deux peut être satisfaite. « Nous recevons entre 2000 et 2200 demandes pour 1000 places (800 municipales, 300 associatives) » compte l’élue.
Le prix de la crèche est, comme dans les autres arrondissements parisiens compris entre 60 et 900 euros par mois en moyenne. La crèche est donc parfois plus chère qu’une garde à domicile partagée. Pour comprendre le calcul du prix de la crèche, c’est ici.
178 assistantes maternelles (qui gardent plusieurs enfants chez elles) exercent dans l’arrondissement. La moitié de leurs places seraient libres actuellement. C’est énorme. « Beaucoup vivent aux portes de Paris, alors que les besoins sont plus au cœur de l’arrondissement, souligne Violaine Trajan. D’autres proposent, des horaires difficilement compatibles avec un travail à plein temps ». En petite couronne, certaines commencent à se regrouper à plusieurs dans des appartements sous forme de « maisons d’assistantes maternelles » pour échapper à la solitude. Cette solution mi-crèche mi-maison, se développe un peu partout mais tâtonne encore pour trouver son modèle. La responsable petite enfance assure être sur le dossier d’une ouverture dans le 18ème.
A lire aussi, le fonctionnement des commissions d’attribution dans le 12ème arrondissement de Paris.
Votre commentaire